L'ancien Diable Rouge Jan Ceulemans a pris ses distances avec le football: "Je ne suis pas riche mais je suis heureux"
L’Angleterre, c’est le premier grand but de Jan Ceulemans (63 ans) avec les Diables à l’Euro 1980. C’est aussi son dernier grand match, à la Coupe du monde 1990. Mais aujourd’hui, le Caje a pris ses distances avec le monde du football. Et c’est pour de bon.
- Publié le 09-10-2020 à 23h51
- Mis à jour le 30-10-2020 à 13h38
Une maison mitoyenne, coquette mais sans chichis, à deux pas de la grand-place de Westerlo, à côté d’un bistrot où les étudiants du coin viennent tuer le temps de midi. Il faut entrer par une petite grille et Jan Ceulemans (63 ans) vient ouvrir. "La femme de ménage est là, ça vous dérange si on fait l’interview tout près d’ici ?"
L’ancien recordman de caps (96) chez les Diables nous offre une petite balade à travers la paisible bourgade de Campine. "Je vis ici depuis huit ans et j’y suis très bien. Il y a tout ce qu’il faut comme magasins et on ne se marche pas dessus."
On arrive à l’hôtel Geerts, sur la grand-place. Un bel établissement où le Caje a ses habitudes. "Quand je vais voir un match de Westerlo au Kuipje, c’est ici qu’on se donne rendez-vous avec mes copains. Une pinte ou deux puis on part à pied au stade. Le niveau en D1B n’est pas exceptionnel mais je m’amuse bien. Je suis aussi invité une fois par an à Bruges. Ce sont les seuls liens qu’il me reste avec le monde du football."
Pourquoi cet éloignement ?
"C’est une volonté de ma part. Il y a un temps pour tout. De 16 à 58 ans, j’étais à fond dans le football. J’aurais pu continuer mais ça ne m’intéressait plus autant qu’avant. C’est aussi à ce moment que j’ai commencé à rouler à vélo. Je me suis dit que je me plaisais plus sur ma bicyclette qu’autour d’un terrain. J’ai pris la décision d’arrêter après deux belles carrières, de joueur puis de coach."
Vous avez arrêté après une montée de D3 en D2 avec Deinze en 2015. Le virus du foot n’est jamais revenu depuis lors ?
"Non. J’ai reçu des appels de clubs mais je devais être honnête : je n’étais plus à 100 % dans le football. Alors, ça ne servait à rien. Soit on fait les choses à fond, soit on s’abstient. J’ai un peu été consultant pour des journaux flamands, c’était chouette mais ça s’est arrêté et ça ne me manque pas."
Que faites-vous pour occuper vos journées ?
"Je ne fais plus que des choses que j’aime faire, comme rouler à vélo."
Vous ne vous ennuyez jamais ?
"Les gens me posent souvent la questi on. Je leur réponds : ‘Qu’as-tu fait de ta journée ? Te lever, aller travailler, traîner dans le fauteuil puis dormir.’ Moi, je m’amuse en faisant ce qui me plaît. C’est une chance. Heureusement quand même que je me suis trouvé une passion pour le vélo. Ça occupe beaucoup de temps dans ma semaine. Je suis encore allé faire 145 kilomètres il y a deux jours. À mon rythme et m’arrêtant pour prendre un café. Il faut du temps pour ça et j’ai la chance de pouvoir le prendre. Par contre, ne me demandez pas de courir, mon genou gonfle après 50 mètres."
Dans le monde du foot, on rencontre souvent des personnes qui s’accrochent le plus longtemps possible, jusqu’à ce qu’on ne veuille plus d’elles. C’est rare de quitter ce milieu volontairement avant d’avoir 60 ans.
"Oui, c’est vrai. Chacun fait comme il l’entend. Je ne juge pas les vieux entraîneurs qui s’accrochent. Moi, j’estime que c’est bien de faire place aux jeunes. J’aurais pu rester dans le circuit et prendre l’argent qu’on me donnait. En plus, un coach est bien plus entouré qu’à mon époque. Tu as dix gars pour t’aider aujourd’hui. Tu n’as plus qu’à choisir l’équipe et les autres font le reste (rires). Mais voilà, si le feu n’est plus là, ce n’est pas correct de continuer."
En arrêtant de travailler à 58 ans et en ayant joué à une période où le foot rapportait beaucoup moins qu’aujourd’hui, êtes-vous à l’abri du besoin ?
"Je ne suis pas un homme riche mais je peux faire ce dont j’ai envie. Je n’ai pas besoin de dépenser 1 000 € en une journée pour être heureux. Je ne suis pas tous les soirs au restaurant et je ne loge pas dans de grands hôtels quand je voyage mais ce n’est pas grave, je n’ai pas besoin de luxe. Je suis bien dans ma maison avec mon petit jardin. Quand j’étais à Bruges, j’avais un immense jardin mais quel boulot pour l’entretenir ! Je suis bien comme je suis."
Vous n’avez quasi jamais travaillé avec un agent pendant votre carrière. Auriez-vous pu gagner plus ?
"Oui, sans doute. En fait, pendant toute ma carrière de joueur, je donnais un montant et je le recevais. Pareil quand j’étais coach. Il y avait sans doute pas mal de gens qui touchaient plus que moi mais ce n’était pas grave puisque j’avais obtenu le montant que je voulais. La seule fois où j’ai pris un agent, c’était pour faire mon contrat d’entraîneur au Club Brugeois (en 2005). Ah non, il y a eu une autre fois : pour mon tout premier contrat pro comme joueur, au Lierse, c’était aussi via une agence, celle du beau-père de Johan Cruyff. Mais c’était une autre époque…"
Vous avez gardé des copains du foot ?
"Un peu mais je ne vois plus grand monde. Je vais parfois boire un verre chez Wilfried Van Moer à Hasselt. J’ai aussi revu quelques fois Walter Meeuws et Julien Cools, souvent pour des interviews dans la presse."
Y a-t-il quelqu’un que vous avez perdu de vue et que vous aimeriez revoir ?
"René Vandereycken. Cela fait des années et ça me ferait plaisir de le revoir. Je sais qu’il fait beaucoup de golf, il faudrait que je m’y mette pour le retrouver (rires). D’ailleurs, c’est une idée d’un jour m’y mettre sérieusement. Mais d’abord le vélo."
Vous roulez parfois en Wallonie ?
"Si je cherche des côtes, je pars plutôt à l’étranger. Il y a un mois, je suis parti avec des copains en France. On a fait l’Izoard, le Col de la Bonette… À mon rythme évidemment. J’ai plus un gabarit de sprinter (rires). Il y a de belles montées en Wallonie mais l’état des routes… Pour grimper, pas de souci mais descendre me fait peur avec tous les trous. Je n’y vais pas souvent."
Je vous pose la question parce que vous vous êtes engagé en politique avec la N-VA il y a deux ans, pour les élections communales. Et beaucoup de Wallons ont l’impression que l’unique volonté de ce parti est de voir la Flandre prendre son indépendance…
"Je comprends qu’on puisse penser ça mais ici, c’est de la politique locale, bien loin de ce qu’il se passe à Bruxelles. C’est Herman Wijnants, l’ancien manager général de Westerlo, qui m’avait demandé d’entrer sur la liste N-VA en 2018. S’il avait été au SP.A ou au CD&V, je l’aurais rejoint aussi. C’était une question d’amitié, pas d’idéologie. Écrivez-le en grand dans le journal : Jan Ceulemans ne veut pas la fin de la Belgique (rires) !"
Lors de ces élections, vous avez obtenu le deuxième score dans la commune (731 voix). Vous verra-t-on un jour bourgmestre de Westerlo ?
"Oh non ! J’avais déjà fait un peu de politique quand j’étais joueur, à Zedelgem. J’ai replongé à la demande de Wijnants mais ce n’était que deux ou trois semaines avant le vote. Je n’avais pas su faire campagne. Heureusement, j’ai pu compter sur ma popularité dans le coin (sourire). Mais malgré ça, on était dans l’opposition. Ça ne m’intéressait pas car tu n’as rien à dire. J’ai préféré me retirer. La politique, c’est fini pour moi. Comme on dit chez moi, un âne ne se prend pas la même pierre trois fois de suite."
Revenons au foot alors. Quel joueur du championnat prenez-vous du plaisir à regarder ?
"Vanaken. Il est devenu un footballeur moderne ces deux dernières années. Il connaît ses qualités, j’apprécie beaucoup ça. Il a eu besoin d’un peu de temps pour bien s’adapter mais il est devenu un joueur incontournable du Club. J’avais connu exactement la même chose à l’époque."
On a souvent dit qu’Hans Vanaken vous ressemblait footbalistiquement. Mais, franchement, n’étiez-vous pas plus proche d’un joueur comme Kevin De Bruyne ?
"Je ne veux pas paraître prétentieux mais c’est vrai qu’il y a quelque chose, même si chaque joueur est différent. À mon époque, on ne comptabilisait pas les assists mais je suis sûr que j’aurais été chaque année dans le top 3 si ça avait existé. En plus de mes buts. J’aurais eu de très bonnes stats, comme De Bruyne. Je l’adore d’ailleurs, c’est mon Diable préféré. Pour moi, il est encore plus important qu’Hazard car il pense aussi au collectif, en plus de ses qualités individuelles."
Vous n’êtes plus que cinquième au classement du nombre de caps. Ça ne vous attriste pas ?
"Non, je l’avais senti venir depuis longtemps. À mon époque, on ne jouait que six matchs par an avec les Diables. C’est beaucoup plus maintenant. Mais ce n’est pas une frustration. D’autres vont encore me dépasser et c’est très bien ainsi. C’est une superbe génération."
Vous avez reçu beaucoup de récompenses individuelles pendant votre carrière. Laquelle regardez-vous avec le plus de plaisir sur votre cheminée ?
"Les trois Souliers d’or. C’est quand même la plus grosse récompense possible en Belgique. Le trophée de Sportif de l’année est beau aussi. Je l’ai même eu deux fois, individuellement et avec l’équipe nationale en 1980. Quel tournoi c’était cet Euro, le plus grand moment de ma carrière. Aller en finale en sortant d’un groupe avec l’Angleterre, l’Espagne et l’Italie, c’était fort. Pour moi, c’était la confirmation que je pouvais être bon au top niveau."
L’Angleterre, c’est aussi un mauvais souvenir au Mondial 90 avec ce fameux but de Platt. Un tournoi bizarre pour vous.
"Oui, j’avais commencé sur le banc contre la Corée et j’étais fâché. Je l’avais dit publiquement en critiquant Guy Thys. Cela avait fait beaucoup de bruit dans les journaux, c’était la troisième guerre mondiale (rires). Il avait voulu faire confiance aux jeunes, le nouveau triangle d’or Degryse-Scifo-Van Der Linden. J’étais vexé. Mais avec le recul, il avait raison. Je ne sortais pas d’une grande saison. Quand je suis devenu coach, j’ai compris que ce n’est pas toujours simple de faire des choix. Le seul truc, c’est que j’étais toujours bon dans les tournois. Plus ça durait, meilleur j’étais alors que les autres pleuraient pour rentrer à la maison. Thys aurait dû en tenir compte."
Pour toute une génération d’amateurs de foot dans le monde, vous restez le footballeur belge le plus emblématique.
"J’étais content quand Pelé m’avait choisi parmi ses 125 footballeurs préférés (NdlR : en 2004 pour le centenaire de la FIFA). En restant en Belgique, je n’ai jamais eu beaucoup de contacts avec les plus grands footballeurs de mon époque mais je crois qu’ils savaient qui j’étais."
Si Maradona vous croisait dans les rues de Westerlo, il vous reconnaîtrait ?
"Je pense bien mais moi je ne suis pas sûr de le reconnaître, il a tellement changé (rires)."